Alors que la Chine domine le marché de l’électrification des transports, le Canada a-t-il ce qu’il faut pour rattraper son retard et se tailler une place honorable sur ce marché?
Nous avons exploré la question avec Yan Cimon, professeur de stratégie à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval, et Michel Jébrak, professeur émérite au Département des sciences de la Terre et de l'atmosphère de l'UQAM.
Le dernier salon de l'automobile de Shanghai, en avril, a permis aux constructeurs occidentaux de prendre conscience de leur retard technologique en ce qui concerne les batteries, mais aussi de leur capacité à construire des voitures à très bas prix. Les Chinois proposent des véhicules électriques pour 10 000 dollars américains environ, très loin de ce qui se fait en Occident.
Aussi, et contrairement aux Occidentaux, ils ont adopté massivement les batteries LFP (lithium-fer-phosphate). Ils n'ont donc pas besoin, pour réaliser ce composant au cœur de la voiture électrique, de s'en remettre au nickel et au cobalt, des métaux plus chers, plus rares, plus polluants, et qui causent des problèmes éthiques en raison de leurs conditions d'extraction, en particulier en République démocratique du Congo.
En plus, les minières chinoises ont suivi le mouvement, ce qui leur assure un approvisionnement en métaux, notamment en lithium.
La Chine contrôle plus de 90 % des minéraux critiques disponibles sur le marché, essentiels à la construction des batteries et des véhicules électriques. Cela dit, cet avantage est temporaire. Si de grands pays riches se mettent à exploiter les terres rares et autres minéraux critiques, il pourrait diminuer rapidement.
Et sur le plan de la technologie, les Nord-Américains ont quand même un avantage intéressant quand on regarde toutes les avancées faites, entre autres, pour l'autonomisation des véhicules, le design, le logiciel ou le marketing.
Une embellie est à prévoir dans un futur proche, parce que les fabricants américains ont des cibles très ambitieuses pour le volume de construction de véhicules électriques. Il y a lieu d'être optimiste, mais la partie n'est pas gagnée d'avance.
C’est extraordinaire de voir que, maintenant, quand un fabricant de voitures américain veut se développer, il doit adopter des licences de technologies chinoises. C’est l’inverse de ce qui se passait il y a 30 ans.
Les tensions politiques illustrent ce basculement du marché. Mais chacun a intérêt à ce qu'il y ait un marché ouvert. Les Chinois ont un comportement extrêmement capitaliste depuis une trentaine d’années.
Comme les Occidentaux ont un retard technologique de l’ordre de trois ou quatre ans, leur seule défense sera les barrières tarifaires pour limiter l’entrée des produits chinois. Ce qui est d’ailleurs un peu contradictoire, car les compagnies américaines sont présentes en Chine où elles ont financé le développement des véhicules électriques par des partenariats. Warren Buffett, par exemple, a investi dans BYD, le grand concurrent de Tesla.
Il ne faut pas être à la remorque de la Chine ou d'autres pays qui pourraient maîtriser à la fois certains minéraux critiques ou des éléments technologiques. Cela nous placerait dans une situation de forte dépendance, ce qui n'est pas souhaitable. On voit parfois comment le contexte géopolitique peut changer rapidement.
C'est une question de prévisibilité des chaînes d'approvisionnement. Elle est souvent meilleure lorsque l'activité est réalisée en sol national ou chez des voisins qui n'ont pas pour habitude d'utiliser les chaînes d'approvisionnement mondiales comme outil de négociation.
Pour le Canada, la filière automobile est stratégique. Elle contribue à maintenir un nombre important d'emplois à forte valeur ajoutée, des emplois généralement assortis de bonnes conditions de travail et de bons salaires.
Le Canada dispose aussi d'un bassin de main-d'œuvre qualifiée très intéressant. Vous avez des centres de recherche qui sont à la fois des leaders mondiaux dans leur domaine, dont l'intelligence artificielle, l’électronique automobile, les chaînes d’assemblage, etc.
Le Canada doit se donner les moyens de concurrencer les leaders mondiaux, sauf que le moment propice risque de disparaître si on ne nourrit pas l'écosystème. Par exemple, les aides fiscales sont souvent beaucoup moins généreuses qu'aux États-Unis.
Il y a en ce moment une course aux subventions. D’ailleurs, tout le monde subventionne très largement ses usines, que ce soient les Chinois, les Européens ou les Américains.
On le voit avec l'attitude de Stellantis. La multinationale a demandé plus d’argent au gouvernement canadien pour poursuivre son projet d'usine de batteries pour véhicules électriques en Ontario, après s'être rendu compte qu'elle ne pourrait pas concurrencer à court terme le marché chinois et qu’il lui faudrait développer une nouvelle stratégie.
Plusieurs constructeurs font face au même défi. Mais tous tentent d'aller de l'avant.
Si on fait le bilan des grandes compagnies traditionnelles, Ford a lancé sa production de véhicules électriques dans la région de Chicago, General Motors a quatre usines en construction, Chrysler - qui est maintenant dans Stellantis - a aussi plusieurs projets en Europe.
On a sinon bien progressé dans l'extraction du lithium, élément essentiel aux batteries. North American lithium a commencé à produire au Québec et les explorations ont donné des résultats intéressants avec la découverte, dernièrement, de gisements de qualité mondiale à la Baie-James. On pourrait être capables de produire beaucoup de lithium d’ici 10 ans, mais il va falloir investir.
Au Canada et dans les pays occidentaux, il y a aussi la question de l'acceptabilité sociale des chaînes d'approvisionnement des véhicules électriques. Or, si le produit final, le véhicule électrique, dispose d'une très forte acceptabilité, ce n’est pas le cas à l'autre bout du spectre pour l'extraction des minéraux critiques.
Ainsi, lorsqu'on regarde les impacts environnementaux, il y a encore du scepticisme ou de l'incertitude. Il pourrait y avoir de l’opposition, même si ce sont des activités qui sont stratégiquement essentielles pour le Canada.
Tout à fait. Le dernier grand basculement géopolitique a été le passage du témoin entre l’Angleterre et les États-Unis, lorsqu’on est passé d’une prédominance du charbon à celle du pétrole. On a un peu l’impression de voir le même processus à l'œuvre.
XI Jinping a déjà dit que les terres rares seront le pétrole de la Chine. Les Chinois ont eu l'idée, dès les années 1980, d’aller vers la transformation de l’énergie. Ils ont compris que les métaux critiques allaient jouer un rôle essentiel et, depuis le début, ils manipulent les prix, notamment du lithium.
Pas nécessairement. Le pouvoir réside dans les activités à forte valeur ajoutée et le Canada pourrait consolider ses avantages.
Au 20e siècle, le Canada a su adroitement se positionner dans les chaînes de l'automobile traditionnelle et on a pu en profiter pendant des décennies.
Pour les automobiles électriques, cela dit, le moment propice est en train de disparaître. Il faut donc agir très vite et de façon déterminante pour être capable de s'emparer de cette rente.
Par souci de clarté, nous avons édité les questions et les réponses de nos experts.
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